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Bolivie: Tourisme dans le Sud Lipez, une catastrophe annoncée


Il est 5h du matin, nous sommes au cœur d’un désert martien qui ne ressemble à aucun autre, dans notre tente, abrités du vent. Les couleurs, les formes, les odeurs, notre ressenti, tout diffère.

Le soleil est sur le point de réchauffer nos cœurs et nos corps et c’est à ce moment précis qu’un mystérieux phénomène météorologique survient. Quand le premier rayon frappe le sol, le froid glacial qui sommeillait avec nous se réveille brutalement et les températures chutent de manière vertigineuse, aussi brutal qu’une cycliste se fracassant les fesses sur des cactus péruviens (vécu). De -5°C en pleine nuit nous passons à -12°C aux premières lueurs du jour. La masse froide est chassée par le jour, mais fichtre ce qu’elle prend du temps à partir celle-là ! (On parlera de réaction endergonique )

Jamais encore je n’avais expérimenté tel phénomène. Nos duvets ont pris de l’âge, après bientôt deux ans d’usage quotidien, ils ont du mal à nous protéger du froid.

C’est à croire que tout est fait pour faire fuir le chaland !

bivouac

Bivouac dans le Sud Lipez

Que se passe-t-il ici au Sud Lipez ? Pourquoi tant de violence dès le matin ? Si ce n’était que cela… Les pistes m’éprouvent depuis le premier col, le sable force mes muscles, le soleil brûle ma peau, le vent l’assèche et la luminosité me fait croire à une cécité naissante.

Voilà quatre jours que nous voguons au gré du vent au cœur des nimbes andines. Chaque journée apporte son lot d’émerveillement et de questionnement.

Je vais vous faire une confidence, je n’écris que très peu sur ce blog. Je préfère me concentrer sur mes épisodes mensuels ou bien mes photos et transmettre un bout de voyage sans m’étendre plus. Qu’il est bon de ne pas trop partager ce que nous vivons. Par volonté de me préserver, volonté de donner un côté magique et intime à ce que l’on fait et surtout, laisser l’opportunité aux personnes qui nous lisent de faire leurs propres expériences, leurs propres erreurs, leurs propres découvertes sans trop s’inspirer de qui que ce soit.

Qu’il est bon de ne pas se faire influencer et de tracer son propre chemin, provoquer ses propres rencontres et apprendre de ses propres erreurs.

Mais alors que se passe-t-il ? Je ressens comme une brûlante – tout brûle au Lipez - envie de partager avec vous des pensées au sortir de cette douloureuse mais formidable étape.

Laguna Colorada

Le Sud Lipez est une région unique au monde. Imaginez-vous sur l’altiplano bolivien à plus de 4000m d’altitude. Vous êtes seul, vous avez dans vos sacoches de vélo – oui, vous voyagez à vélo - de la nourriture pour une semaine et de l’eau pour deux jours. Autour de vous, du pourpre, du rouge, du jaune, de l’orangé, du violet, de l’émeraude, du turquoise, du rose, une palette incroyable de couleurs s’offre à vous avec grande générosité.

Il n’y a pas un seul bruit. Aucune pollution visuelle, auditive ou olfactive excepté cette odeur de soufre qui survient parfois et vous rappelle où vous êtes. Vous êtes au cœur du grand, de l’immense, du puissant et vous côtoyez l’âme du monde. Des volcans imposants aux sommets enneigés vous défient de les contourner seulement. Le ciel constamment bleu azur vous fait manquer les nuages. Mais où diable peut-on trouver de l’ombre dans ce désert ? La réponse est quasiment nulle part. Vous vous en accommodez car ce que vos yeux témoignent-là, c’est la majesté ultime de la nature. Vous êtes au pied de la robe d’apparats de Pachamama qui vous ouvre ses bras et vous embrasse ou plutôt vous embrase le cœur.

Je pourrai m’arrêter là et ne vous conter que les paysages fantastiques que nous admirons au quotidien. Mais un événement m’a fait changer d’avis.

Vigognes

Vigognes sur l'altiplano

Tout a commencé quand nous sommes arrivés, Jérémy et moi, sur un haut plateau derrière le lac Hedionda. Au loin, nous apercevons des 4x4 chargés de bidons d’essences, de provisions et de touristes. Je dis bien au loin car ces véhicules ne s’importunent pas à rester sur les pistes tracées. Ils vont où bon leur semble, dans un désert féérique, presque immaculé. Nous les observons de loin, comme elles vont vite ces voitures. Ont-elles seulement le temps d’observer ce qui se déroule sous leurs yeux ?

Les vigognes – espèce protégée ici en Bolivie – fuient ces blindés fanfarons qui laissent des balafres indélébiles sur le sol lipezien.

Et puis, je regarde au sol et vois un oiseau mort. Il me semble qu’il vient d’être fauché, il y a quelques heures tout au plus. Comme quoi je suis mauvaise langue, certaines voitures restent sur les voies principales.

Comme il est beau cet oiseau, il a l’air si paisible. Des destins funestes comme celui-ci, nous en rencontrerons d’autres sur notre chemin. D’autres oiseaux, d’autres animaux victimes de ces beaux 4x4 boliviens ou chiliens, des renards errants affamés qui ne parviennent plus à chasser, trop habitués à se faire nourrir par les touristes de passage.

L'impact des 4x4

J’ouvre donc les yeux. Je ne vois plus que ces beaux monuments naturels, je vois aussi ces véhicules qui consomme à outrance la « réserve naturelle » dans laquelle nous nous trouvons. Je m’interroge. Nous sommes entrés dans la « Reserva Nacional de Fauna Andina Eduardo Avaroa », mais en quoi est-ce une réserve ?

7000 km2 où vivent vigognes, flamants roses et autres animaux qui sont censés être protégés depuis 1973. Certaines espèces sont en voie de disparition comme certains rongeurs, les chats andins, ou encore la vigogne qui est interdite à la chasse.

À la base, la réserve a surtout été créée pour protéger les flamants roses et les vigognes. Nous devons payer l’entrée de la réserve, 150 bolivianos (environ 20 euros). Tant mieux ! Que l’argent serve à créer des postes d’informations, des barrières pour ne pas trop s’approcher des lacs et des flamants roses, des routes et des panneaux d’informations ! Que nenni.

Il n’y a aucun ranger dans le parc. En tout et pour tout, sur les 7000 km2 on ne compte que 9 employés. J’ai été cherché la petite bête. Je suis partie discuter avec l’un d’entre eux et je préfère ne pas donner son nom pour lui éviter des ennuis. Sait-on jamais si Evo Morales tombe sur cet article.

L’employé nous affirme que tout l’argent récolté est directement envoyé dans les caisses de l’Etat, et rien ne revient au parc. Information confirmée par d’autres employés rencontrés à la sortie de la réserve. Il n’y a aucune barrière, nulle part, les vieux panneaux explicatifs tombent en miettes et il est difficile d’y lire quoi que ce soit, seuls quelques pancartes indiquent les bons comportements à suivre, mais ici au Sud Lipez la liberté est totale. Vous faites ce que vous voulez. Les guides (on dira plutôt chauffeurs) ne vous interdisent rien. Imaginez 25 000 voitures pleines de 6 touristes qui viennent à l’année à qui rien n’est interdit.

Les touristes n'en font qu'à leurs têtes

Si bien que sur l’un des sites très connus, les Geysers, les panneaux dangers et « interdiction de marcher sur les geysers » sont clairement ignorés de tous.

Nous avons campé aux geysers à 4850m d’altitude et avons pu profiter d’un après-midi, d’une nuit et d’une matinée incroyables. Le site est sincèrement à couper le souffle. L’odeur de soufre vous enivre, les couleurs dues à l’oxydation donnent une touche surréaliste au paysage et le bruit des bulles de lave en fusion mélangée au souffre qui éclatent vous font croire que vous êtes au fond du fait-tout ! Vous êtes au centre de la terre, enfin presque !

Mais ce site souffre (désolée pour le mauvais jeu de mot), d’un tourisme grandissant non respectueux. Etonnée de voir tous les touristes franchir la « limite » autorisée, je demande à un guide pourquoi tout le monde fait cela. Voici sa réponse :

« Si tu peux te tenir en équilibre sur un pied,

alors tu peux aller marcher dans les geysers,

pas de problème !

Sinon tu n’y vas pas, c’est un peu dangereux ».

Mais rien sur la conservation du site, dommage.

J’ai posé la question en sortant de la réserve à un employé qui m’a assuré qu’il était interdit de marcher au milieu des Geysers, comme cela était écrit sur les vieilles pancartes. Mais l’information ne circule visiblement pas et le manque de budget ne permet pas la création de barrières autour du site.

L'impact des 4x4

L'impact des 4x4

Je suis sortie de Bolivie avec un sentiment mitigé. A qui la faute ? Au gouvernement ? Aux guides ? Aux touristes eux-mêmes ? Peut-être un peu tous à la fois ? Qui blâmer ? Le gouvernement qui profite du développement du tourisme et qui rapporte donc de l’argent au pays ? Les guides qui souhaitent nourrir leurs familles ? Les touristes qui souhaitent découvrir des endroits incroyables ?

Encore ce matin, je n’ai pas la réponse. Je n’ai jamais souhaité voyager en véhicule (bus ou tours organisés), j’ai toujours préféré la marche ou bien le vélo. Je conçois l’envie de visiter un parc national en tour par faute de « temps » ou d’argent mais je pense qu’il est bon de se poser les bonnes questions.

Nous avons toutes et tous un impact sur la nature, que l’on soit en avion, en bus, en tours, en vélo ou même à pied. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Vouloir visiter un parc national grandissime en 3 ou 4 jours en faisant en tout 600km de piste est-il encore souhaitable et logique ?

Aujourd’hui les maitres mots sont : vite et pas cher. "Je veux tout voir pour pas cher". Mais réfléchissons. Vouloir tout visiter en 3 jours dans cette région du monde, cela veut dire passer peu de temps sur chacun des sites, aller vite sur les pistes et donc créer de la poussière qui accélère la désertification, sortir des voies principales pour aller plus vite et donc tuer des végétaux qui servent à nourrir des animaux en voie de disparition, parfois faucher des animaux et occasionnellement envoyer des pierres sur les cyclistes quand les jeeps passent à 70km/h sur les sentiers. J’en ai reçu un petit paquet et je peux vous dire que cela fait peur et mal.

Je ne suis ni une autorité en la matière, ni une personne d’une grande influence, mais pensez, si un jour vous passez par ici, à deux fois avant de vous engager dans un tour. Cette région du monde mérite premièrement le respect, que l’on s’y attarde, elle mérite que l’on y prenne notre temps mais encore une fois que l'on respecte la terre, il en va de la survie de bien des êtres vivants.

Alors si vous êtes en forme, marchez, il y a de l'eau tous les deux / trois jours, de la nourriture aussi.

Merci de m’avoir lu.

Sophie Planque

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Ils en parlent: Ryan du blog "Le sac à dos" a publié cet article sous forme de story. Retrouvez l'article ici

Sortie du Sud Lipez et vue du volcan Lincancabur

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