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Jérémy Vaugeois

Le Parcours : Mexique « vivre comme si chaque jour était l’avant dernier jour de sa vie »


Le 2 février 2018, nous rentrions au Mexique par la ville frontalière de Tijuana. Quatre mois plus tard, nous nous trouvons à Ciudad Hidalgo, dans l’état du Chiapas. Nous sommes déjà le 31 mai de la même année et nous sommes sur le point de traverser le rio Suchiate, prêts à pénétrer le territoire Guatémaltèque.

 

La symbolique de cette frontière à nos yeux est immense et cela pour de multiples raisons. Il y a en ce passage l’image d’une changement géographique majeur. Nous présentons ici nos au revoir à l’Amérique du Nord et saluons ainsi l’Amérique Centrale. C’est un long chapitre de près d’un an qui se termine après douze mille cinq cent kilomètres parcourus. Une simple page se tourne, une autre vierge se dévoile et l’histoire continue, s’écrit d’elle-même.

Nous sautons d’une plaque tectonique à une autre. Le mouvement est incroyable. Le paysage témoigne de ce passage depuis plusieurs jours déjà. D’abord l’isthme de Tehuantepec, puis les villes et villages ravagées par de terribles séismes en septembre dernier que nous traversons dans le sud de l’état de Oaxaca. Et là-bas, faisant face à l’océan Pacifique, semblant même le dominer, des volcans s’envolent à plus de trois mille mètres d’altitude. Certains sont encore en activité et récemment « El Fuego » faisait tristement la une de tous les hebdomadaires autour de la planète. Le cercle de feu nous parle et nous raconte que cet endroit du globe n’est pas comme les autres. Son importance est immense, c’est une clé de la tectonique des plaques et de la Géographie avec un grand « G ». C’est la raison pour laquelle nous sommes ici, c’est le lien entre deux continents qui font du chemin que nous empruntons la plus longue route du monde.

Nos émotions nous guident et nous réalisons toujours un peu plus notre rêve qu’un jour, nous atteindrons la Patagonie par nos propres forces, à vélo. Nous sommes mentalement près à faire connaissance avec la saison des pluies et ce bout de terre qui relie les Amériques du Nord et du Sud. Physiquement, nous quittons une tourista et un parasite intestinal. Une viande avariée avait décidé de nous pourrir les entrailles dans l’état du Chiapas. Il en est ainsi et nous avancerons indéniablement, malgré tous les maux vécus, ceux que l’on vit encore aujourd’hui et ceux que l’on vivra sur notre chemin. Nous l’avons voulu, cherché, et enfin trouvé après un long cheminement de près de quatre mille cinq cents kilomètres à travers la confédération d’états du Mexique.

Cette frontière est une libération mentale dans le processus de l’avancée. Incontestablement, nous parcourons ce supercontinent Américain. Au jour après jour, nous en avons rarement les preuves et nous profitons d'un simple panneau sur lequel est indiqué « Bienvenidos a Guatemala » pour nous réjouir et ainsi célébrer en terminant notre flasque de Mezcal. Voila en cette gorgée le dernier souvenir que le Mexique nous laissera emporter.

Jérémy sur la route

Jérémy sur la route du lac de Chapala, Mexique

En réalité, j’écris ces mots depuis le village de San Marcos la Laguna qui borde le somptueux lac Atitlan. Voilà déjà une semaine que nous roulons à travers ce magnifique pays qu’est le Guatemala. Mais que nous importent ces indicateurs temporels et de lieux d’un autre pays que le Mexique ici, si ce n’est que de souligner une fois de plus le manque de persévérance et de rigueur que j’ai à écrire sur ce blog ?

Le temps est passé et les nouvelles ont manqué. Je me complais bien plus à m’étaler dans mon petit carnet à la belle couverture de cuir et les détails du jour après jour sont d’une délicatesse incroyable. Quelle ivresse atteinte lorsque la main se met à transcrire sur une page blanche la couleur des journées et des sentiments qui l’habillent… Car elle est bien en cela mon excuse de ne pas être rigoureux sur le clavier d’un ordinateur. Qu’y a-t-il de plus romantique qu’un crayon posé sur un papier vierge chaque soir lorsque le monde que l’on traverse donne tant aux yeux et au cœur ? Qu’il y a-t-il de plus romantique que le silence du voyageur plongé dans son expérience pour ramener à ceux qu’il aime les émotions vraies d’une route longue et semée d’embuches, d’une route belle et qui ne se raconte que très difficilement ?

Tout ce temps inscrit dans la géographie mexicaine nous aura donné bien des variations, difficile de condenser en quelques menus paragraphes. Les couleurs, les odeurs, les goûts, les formes et les appréciations furent fondamentalement différentes de ce que nous avions pu vivre aux États-Unis ou encore au Canada. La route nous fera vite la démonstration que ces différences sont marquées bien plus encore entre le Nord, l’Ouest et le Sud du pays. Nous étions rentrés en Amérique Latine, cet immense espace défini par ses mille et un visages et sa nourriture bien plus piquante que la Teurgoule normande.

Le simple passage de la frontière de Tijuana en Basse-Californie fut un bouleversement. Nous passions au travers d’un tourniquet géant le poste de contrôle de migration. Au versant sud du monticule de béton armé, la vie entassée grouille, vibre et s’épanouie dans l’attente pour beaucoup de ceux qui sont là, d’un passage au pays de l’oncle Sam. Le dollar une fois et demi plus fort que le peso attire les convoitises mexicaines mais ce n’est pas pour autant d’argent que le peuple mexicain ne cèderait ses terres et sa culture aux gringos. Les mexicains sont fiers de leur pays et quand bien même ils partiront un jour faire chauffer les finances chez leurs voisins du nord, ils reviendront toujours à leurs racines car ils savent que leur cœurs se trouvent là où leur peuple se trouve. Le Mexique est un grand pays fait d’une grande famille de gens au cœur immense.

Terminé ici les échoppes aux belles façades des grands groupes qui quémandent l’argent des chalands. À partir de maintenant et à travers le pays, les besoins servis dans les pueblos sont les plus simples et surtout nécessaires à la vie de chacun. Pas de services bancaires ou funéraires à perte de vue, pas de polices d’assurance qui volent l’argent des seniors. Pas non plus de superflu attractif derrière des vitrines d’or. Seulement des « tiendas » et des « comedors » qui vendent ce que le mexicain des terres a besoin en nourriture et en Coca-Cola. La vie se fait dans la rue. Les gens vivent dehors, ils y travaillent, y mangent, parfois même debout, et célèbrent au quotidien une vie tranquille comme si « chaque jour était l’avant dernier jour de leur propre vie ». Voici en cette citation populaire l’état d’esprit des mexicains. Cette manière de penser instaure en eux, cette population marquée à grands coups de fer blanc par l’histoire, une certaine sagesse dictée par une allégresse contagieuse.

Guerrero Negro, Mexique

Il y a bien des dangers au Mexique mais je vous épargnerai de les citer car ici, les gens vivent loin de toute paranoïa, à la différence de nos pays sécuritaires. On observe et on se laisse bercer par les chants des mariachis. Ils chantent l’amour quand nous chantons la nostalgie et la mélancolie, ils chantent la célébration de la vie jusqu’à l’aube quand nous sommes cantonnés à nous taire à vingt-deux heures pour ne pas trop déranger les voisins qui boudent leurs vies ennuyeuses. On dort au rythme de la cumbia. On se réveille et l’on reprend la route paisiblement en intriguant des regards durs sur des visages fermées. Très vite, ils nous laissent percevoir de beaux sourires lorsqu’on leur lance de francs et sincères « Buenos dias ». Une chaleur particulière nous prend le cœur. Les tacos et les ceviches sont délicieux à mourir. Nous en avalons plus que prescription ne peut le conseiller et le chile nous chauffe le corps. Nous suons abondamment. C’est plutôt bon signe car ici, quand la sueur arrive, elle mouille les vêtements et est censée nous rafraîchir durant les heures chaudes selon les théories les plus abouties.

L’Homme travaille la terre avec ses mains et vend les produits de ses cultures. Des artisans perpétuent des traditions centenaires sans pour autant prôner la sauvegarde d’un patrimoine ou de la planète. D’autres font fonctionner ce que l’on appelle vulgairement en France, le Système D. Des mécaniciens et bricoleurs hors-paires font vivre des échoppes sans noms qui se succèdent les unes après les autres dans les rues et ruelles des villes et villages. L’ingéniosité de nombre d’entre eux me donne l’impression d’être un enfant assisté qui ne sais rien faire de ses mains. J’observe. Ici, on vit et on travaille dans le souci simple de boire et de manger, et puis l’on prie. Tout le reste semble bien accessoire pour beaucoup d’entre eux. Ils ont tout ce qu’un européen en crise existentiel n’a pas mais ils convoitisent tellement l’argent des gringos qu’ils n’ont pas. Drôle de paradoxe qu’il est impossible et insensé de leur expliquer. Les Gringos ont le dollar mais pas le bonheur, les mexicains ont le bonheur mais pas les comptes de Rothschild. C’est un monde complexe que nous découvrons et prendre partie n’est pas de notre goût. Dans la région de Nayarit, le thermomètre montra jusqu’à cinquante-deux degrés en plein soleil. Sophie s’effondre sous le poids d’une violente insolation. Nous nous arrêterons deux jours.

Armando le ranchero, Basse Californie, Mexique

Le Mexique nous semble bien plus grand qu’il n’y parait sur une simple carte. Nous descendons inlassablement en latitude en Basse-Californie. Nous cherchons à nous rapprocher de la France en faisant cap à l’est dans les terres intérieures du pays et les longitudes s’enchainent de la même manière, sans fin. Des massifs montagneux nous barrent la route, les « Sierra Madre » occidentale et du sud. Nous devons les vaincre, passer de col en col, de plus en plus haut pour daigner avancer ne serait-ce que pas à pas. Pour raisons de sécurité, nous terminons d’emprunter des routes de l’arrière-pays dans l’état de Jalisco et traversons l’état de Michoacan sur les grands axes. Des lors, une course aux kilomètres s’organise. Nous rentrons rapidement dans la banlieue de Mexico. Vingt-cinq millions d’âmes croisées plus tard, nous sommes déjà dans l’état de Puebla, puis Oaxaca et Chiapas mais le temps, lui, a filé plus vite que nous.

Nous avons parcouru des routes de bitume, des pistes, des voies acharnées de nids de poules fermières et avons vu notre vie passer à plus d’une reprise lorsque les bus et camions double-remorque manquaient de nous projeter dans l’haut delà, prêt à attendre la fête des morts pour redescendre sur terre. À plus d’une reprise, nous nous cantonnons à faire du vélo sur des autoroutes. C’est à notre grande surprise une pratique courante ici au Mexique voir même conseillée par la plupart des locaux. Le bas-côté pourrait accueillir un peloton entier et nous nous y sentons en sécurité. Petit bémol quand après plusieurs centaines de kilomètres cheminés nous découvrons un sentiment hautement frustrant de zapper comme les voitures le fond si rapidement les paysages, tout comme si nous étions bien assis confortablement devant le poste de télévision du salon. Les barricades nous enferment dans un couloir à sens unique et notre regard devient vite perturbé parce que « Big Brother » veut nous montrer. Il faut sortir de là, ça devient urgent. Nous ne nous sentons plus vivre. Ou est bien passe l’intensité du voyage que nous avions encore il y a quelques tours de roue en rencontrant José dans son rancho lorsque nous buvions du « Pajarate », ce délicieux lait de vache frais mêlé à du chocolat en poudre et de l’alcool de canne ? La ville de Mexico fut un véritable choc culturel. Hors de la réalité de ce qu’est le véritable Mexique. Elle nous épuise mentalement après que les routes nous aient prises toute notre énergie physique. Notre famille et nos amis qui sont venus nous rendre visite, ainsi que la tous les membres de la famille Viejo et les écoliers de la ville qui ont prêtés attention à nos histoires nous ont mis du baume au cœur. Nous partons de la ville sans regret.

Oaxaca et Chiapas sont les régions qui nous font reconnecter avec le voyage que nous aimons. Des grands espaces dominés par une nature forte. Des femmes et des hommes au sourire vrai et qui ne trompe pas. Le doux romantisme de notre couple se réconforte alors dans les bras de la route. Nous restons cependant sur nos gardes et ne nous laissons pas emporter par la naïveté d’une ascension de col aux allures calmes. Les orages nous guettent et nous piègent. À force de les fuir, nous en prenons quelques-uns de plein fouet. Une nuit en particulier marquera nos mémoires quand la foudre tombait autour de nous à répétition, le vent écrasant notre tente Ginette comme une galette bretonne et la pluie déversant des montagnes d’eau faisant monter le niveau jusqu’à notre porte d’entrée.

Avril 2018 est redoutable dans les montagnes du sud et nous apprenons une triste nouvelle qui nous vient du Chiapas. Deux camarades de route, Holger Hagenbush et Krzysztof Chmielewski, un allemand et un polonais en route pour la Patagonie à vélo étaient portés disparus depuis plus de dix jours quand leurs corps furent retrouvés sans vie dans un ravin entre San Cristobal de las Casas et Palenque. Ils ont été mutilé et assassiné. Les motifs ne sont pas connus et le ou les coupables courent toujours. Nous ne les connaissions pas mais une tristesse profonde nous envahie. C’est une part du rêve de nous tous que leurs assassins ont dérobés. Un acte d’une violence extrême qui installe le doute sur la fin de notre traversé du pays. La complexité du Mexique et de ses conflits les a malheureusement rattrapé. Personne ne peut fermer les yeux sur cette réalité.

Holger et Krzysztof

Holger Hagenbush et Krzysztof Chmielewski

Sommes-nous en sécurité ? Le serons-nous dans les prochains mois à travers le Salvador, le Honduras ou encore le Nicaragua qui est en marge d’être en guerre civile selon les dernières nouvelles ?

Nous choisissons de longer la cote du Chiapas par mesure de sécurité pour accéder au plus vite au Guatemala et nos pensées sont dédiées aux familles et amis de Holger et Krzysztof.

Le soleil tombe derrière les volcans San Pedro et Atitlan au Guatemala. Il est dix-huit heure trente, le ciel chargé bazarde toute sa colère sur les flancs abruptes bordant le lac et je prends tout juste conscience en terminant d’écrire cet article de la valeur de ce dicton mexicain « vivre comme si chaque jour était l’avant dernier jour de sa vie… »

Jérémy Vaugeois

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